Chat peu licite
Je vous ai alléché avec mes paroles à la fragrance de Noël dans mon passionnant panégyrique de la fois précédente, et cette fois-ci encore je compte bien déchaîner les foules par le récit estourbissant de mes tribulations ferroviaires. Non, ne revenez pas en arrière chers amis car oui je suis un félin globe-trotter ! Que voulez-vous, j'aime vivre d'aventures, me jouant du risque comme on tape négligemment dans une boulette d'aluminium pour divertir sa maîtresse ! Et pour ceux qui oseraient douter de cette prise de risque inouïe je maintiens que le train est dangereux, terriblement dangereux ! Ne serait-ce que l'endroit où il est parqué : une gare ! Rien que le mot, qui signifie également attention, et il faut en effet être continuellement vigilant en cet endroit infect ! A-t-on déjà vu lieu plus délétère pour la gente féline ? Des canidés tout en pattes et en crocs à l'air aussi aimable que leurs humains saucissonnés dans des vestes ouatées, un bruit dantesque et des courants d'air glacés atrocement insidieux ; tout, des cerbères à l'agréable climat polaire ambiant, pousse ce lieu infâme en tête du palmarès des cauchemars félins les plus effroyables ! Un véritable éden vous dis-je, et pourtant aussi incroyable que cela puisse paraître je suis un habitué des lieux que j'affronte avec le plus noble des courages chaque semaine!
Je vous vois sourciller d'ici mais ma présence insolite dans ce bouge s'explique par deux mots : ma maîtresse ! Évidemment, une idée pareille ne pouvait germer que d'un cerveau positivement dérangé, et le sien l'est plus que positivement malheureusement pour ma personne… Rendez-vous compte de la folie que cela représente de traîner, parce que bien entendu je m'insurge dans les règles de l'art à grands renforts de miaulements désespérés et attendrissants de désespoir mais elle est trop coriace, alors j'ai cessé d'esquinter en vain mes précieuses cordes vocales, de traîner dis-je un chat dans un palais des courants d'air pareil !
Et nous n'en sommes qu'au commencement car là n'est pas le plus hilarant de cet audacieux programme : c'eut été trop simple ! Bien trop pour ma maîtresse qui jugeant tout cela enfantin a donc décidé que je voyagerais en sac ! En sac, parfaitement m'sieurs dames comme un vulgaire fifrelin, un chat des rues! Un chat de ma classe, si ce n'est pas une honte ça, une infamie même ! Si même le haut du panier de cette société s'écrase lamentablement dans des latitudes aussi basses qu'on ne s'étonne pas que le monde marche sur la tête ! Ajoutez à cela que je finis toujours par avoir à un moment ou à un autre la tête dans le sac au sens propre et pas loin du figuré vu les empyreumes locaux qui agressent furieusement mon odorat délicat et vous aurez un tableau assez complet de ma déchéance !
Néanmoins je ne vais me plaindre qu'à demi car ainsi je voyage envers et contre tout ,et surtout par-devers les contrôleurs, avec ma maîtresse même si je ne suis qu'un passager clandestin ce qui ne sied guère à mon rang nous sommes d'accord. Pas que ma maîtresse soit contre le fait de se fendre d'un billet, bien au contraire et si elle pouvait même s'arranger pour que nous voyagions en première avec des gens dignes de nous et de moi surtout ce n'en serait que mieux à mon sens !Mais elle s'y refuse sous le fallacieux prétexte que le tarif « supplément bagages » qui m'est octroyé, jugez d'ailleurs le respect qui m'est témoigné, égale le sien. Et pour la citer « c'est un monde ça tout de même, tu ne prends pas de place sur mes genoux, moins qu'un vélo et tu payes aussi cher que moi ! Pas question d'enrichir ces voleurs d'étudiantes à deux croquettes cinquante ! ». Personnellement je ne vois pas le problème, après tout ne suis-je pas Hermès grand matou régnant sur un superbe logis du haut d'un lit mezzanine ? Un tarif équivalent à celui de ma maîtresse me semble tout à fait adapté à ma superbe ! Mais tout monarque que je suis, je ne détiens pas les cordons de la bourse de la maisonnée...
Ceci entraînant donc cela c'est ainsi que je voyage en resquilleur et que je suis à demi asphyxié lors du contrôle des billets par un livre, un manteau ou une écharpe bref ce qui tombe sous la main de ma maîtresse et m'atterrit invariablement sur le crâne. Sans parler du fait que dès qu'il faut se déplacer dans cet engin de malheur, ma maîtresse tangue et se heurte sans cesse aux sièges et moi,pauvre hère trimballé en sac et prié de me taire, je fais plus ample connaissance avec les portes coulissantes fort peu coopératives, l'accordéon terriblement mesquin entre les voitures et les sièges dont les coins sont on ne peut plus durs je puis vous l'assurer! L'élégance et la classe se perdent en ce bas monde vous dis-je ! Et je n'aborderais pas le sujet de cette insupportable voix nasillarde qui me réveille en sursaut à chaque arrêt pour annoncer en crachotant le nom totalement incompréhensible d'un patelin perdu où même un chat de gouttière refuserait de poser une patte ! Pas plus que je n'évoquerais les heures glaciales passées sur les quais à attendre un train, peu pressé d'accueillir nos prestigieuses personnes, en compagnie de ma maîtresse aux lèvres bleuies et essayant de se convaincre qu'il fait 30° C au-dehors et que tout cela n'est qu'une question de volonté bigre !
Cependant le point positif de ces voyages est que nous faisons la connaissance de gens ma foi fort distrayants, oui nous car sans moi ma maîtresse n'aurait sans doute pas été abordée par toutes ces personnalités, je pense d'ailleurs exiger une rétribution sonnante et trébuchante pour cela ! En effet comment résister à la vue de votre humble serviteur sagement endormi sur les genoux de sa maîtresse lisant des livres pour le moins sérieux et raisonnables ? Vision idyllique n'est-il pas ? Alors inévitablement nos compagnons d'infortune nous abreuvent de questions qui ne sont que des variantes d'un franc et direct « comme il est sage, comment faites-vous ? Vous voyagez souvent ainsi ? » accompagné d'un air absolument admiratif, ce qui entre nous soit dit convient parfaitement à la déférence qui m'est due ! Et si cela fait sourire doucement ma maîtresse qui, trop gentille, se prête alors à cet interrogatoire dans les règles de l'art, je me contente pour ma part d'entrouvrir un œil et de remuer une oreille m'appliquant de toutes mes forces à ne pas me montrer trop méprisant envers ces gens qui instinctivement ont reconnu ma supériorité ! Invariablement par la suite nous avons en général, l'immense honneur d'apprendre tous les détails de la vie de feu Minouche qui « était toute mignonne mais qui n'aurait jamais accepté d'être transportée en train et encore moins comme ça....... » bla bla bla bla bla des premières bêtises jusqu'au drame de la disparition nous, enfin surtout ma maîtresse je ne résiste que quelques minutes à ce flot continu de paroles ô combien passionnantes, écoutons tout attentivement veillant à réagir au moment adéquat pour ne pas trahir une furieuse envie de s'endormir, vous ai-je dit que ma maîtresse et moi sommes passés maîtres dans l'art de feindre l'intérêt le plus total ?! Que voulez-vous, ma maîtresse semble digne de toutes les confidences et de tous les récits et mon honorable présence met en confiance même les plus réticents ,qui nous soupçonnerait du moindre mal ma maîtresse et moi ?
Nous sommes des parangons de vertu, même si l'un des parangons ne monnaye pas toujours sa place, mais certaines personnes semblent douter du bien-fondé de cette observation vu les réactions vraiment surprenantes déclenchées par ma présence... En effet pour quelques hurluberlus je semble être la peste personnifiée, je n'ai pourtant jamais croqué personne, mon pelage est lustré, mes moustaches lissées et mes griffes rentrées ! Alors je m'interroge encore et toujours sur ces sursauts diablement exagérés et ces écarts tout bonnement incompréhensibles, une femelle nous a même fait une démonstration de souplesse tout à fait insoupçonnée lorsque je l'ai innocemment fixée elle a alors bondi à une vitesse proprement hallucinante vers le siège voisin du sien ! Un peu plus et elle grimpait à la fenêtre, je suis un vrai tombeur même les humaines ne peuvent soutenir mon regard de braise et ne peuvent résister à mon aura de pouvoir absolu! Bien évidemment face à ces fans hystériques nous ne nous éternisons pas, qui sait ce dont elles sont capables par fascination pour ma divine personne, et je peux compter sur l'incroyable capacité à opérer un repli stratégique de ma maîtresse pour éviter l'incident diplomatique ! Mais le summum est atteint je crois par cette bête étrange appelée enfant : je déteste cette chose et me terre toujours au fond du sac quand je suis confronté à cette redoutable bestiole, je suis courageux mais pas suicidaire ! Et comme on m'a refusé le droit de supprimer cette menace... Menace oui, car ça vous tire les oreilles, les moustaches, ça gesticule, vous montre du doigt ce qui est particulièrement mal élevé envers une personne de rang supérieur telle que moi, vous postillonne à la truffe, colle son visage à l'entrée du sac dans l'espoir, vain, de vous apercevoir et vous prend pour une peluche vivante : par les moustaches de Félix le chat je redoute plus que tout ces terreurs en puissance ! Ne vous méprenez pas je suis un chat sans peurs ni reproches mais ces abominables êtres me hérissent le pelage et vous n'avez pas la plus petite idée du temps qu'il me faut pour être à nouveau présentable, j'ai un standing à conserver nom d'une cataire ! Comme toujours je peux cependant compter sur ma maîtresse pour me tirer de ce mauvais pas car elle éloigne souvent d'une phrase ces dictateurs en culottes courtes arguant envers les propriétaires de ces … choses que je suis un jeune chat facilement impressionnable, sous-entendant je crois que s'ils tiennent à garder leurs bestioles intactes ils feraient mieux de les mettre hors de portée de mes griffes car je ne pense pas qu'il y ait un service après-vente satisfaisant pour les tirer d'embarras si jamais je les abîmais, d'ici que je me décide à faire usage de mes crocs, foi de chat si je ne tenais pas tant à ne pas attirer d'ennuis à ma colocataire ce n'est pas l'envie qui me manque…
Ces voyages sont donc une vraie odyssée pour moi, un périple maintes fois entrepris et chaque fois mené à son terme avec le plus grand succès ! Et si je profite pour le moment d'un répit bien mérité, ouvrez l'œil car il se peut que votre serviteur hante très bientôt de nouveau les voies ferroviaires et qui sait peut-être un heureux hasard vous mettra en ma délicieuse présence, si c'est le cas prenez garde de passer sous le feu de mon regard et le velours de mes pattes ...
Ps: le jeu de mots du jour, était donc chappe licite. Chappe qui peut s'écrire également chape et qui dans un sens vieilli signifie manteau, cape voire firmament par extension, ce qui au vu de la situation est on ne peut plus évocateur ne trouvez-vous pas?